Projet « PHILOPLASTIQUE » à la Maison des écrits en direction des professionnels d’Échirolles du secteur éducatif et socio-culturel.
Projet monté avec 6 classes de Cycle 3.
Le projet s’est articulé sur deux Discussion à Visée Démocratique et Philosophique (DVDP), deux séances d’atelier d’écriture, et deux séances d’art plastique conduites par Jérôme Bayer, artiste plasticien.
Projet cité et suivi par la revue LIDILEM Laboratoire de Linguistique et Didactique des Langues Étrangères et Maternelles (Lidilem) est né en 1987 de la fédération de cinq centres de recherche, sous l’impulsion de Louise Dabène. Son
unique tutelle est l’Université Grenoble Alpes.
Il regroupe actuellement une soixantaine de membres permanents et environ 70 doctorants. Tous organisent leurs travaux autour des axes et des programmes qui structurent l’activité du laboratoire.
Mon témoignage sur le chemin des séances
Le projet DVDP s’est déroulé de décembre 2017 à mai 2018.
Il a fallu installer les rôles, bien les intégrer, accompagner les discussions, redire le rôle de la philosophie dans
nos vies, écrire, faire écrire, lire, encourager, explorer des concepts, avancer dans les propositions.
Dans cette grande aventure les enfants ont été créateurs. En tant qu’animatrice j’ai pu mesurer combien ces séances ont été une fabuleuse façon d’avancer, à la fois dans la conduite d’animation, mais aussi dans ma vie. L’enseignement majeur de cette expérience reste l’ouverture au monde, la magie du doute, la recherche continue et la puissance du mouvement de la pensée et le plus précieux : l’émerveillement.
Il a fallu creuser et explorer pour reconnaître l’essence de la philosophie, qui, au-delà de son enseignement favorise une posture, une façon d’être et de voir les choses. Cette posture s’est installée selon les classes plus ou moins vite, mais on a pu constater que les séances devenaient de plus en plus riches, et nous avons perçu au fur et à mesure une qualité d’écoute, un respect de la parole de l’autre, un plaisir joyeux à échanger.
Le réflexe d’inférence par des exemples, des contre-exemples trouvés dans nos propres expériences de vie, dans les textes lus, est venu naturellement au fil des séances. Les enfants ont découvert leur capacité à aller au-delà de ces exemples et à entrer dans une pensée plus réflexive. Le passage à l’écrit a pu matérialiser des concepts qui souvent dérivaient sur d’autres thématiques, écrire ses idées a pu positionner l’enfant face à son raisonnement.
Prendre le rôle d’un philosophe avec un drôle de nom a permis d’incarner un personnage qui pense et qui
assume cette pensée, de faire un pas de côté, en utilisant une autre identité. Dans l’animation de ces séances, les enfants m’ont guidé dans mes recherches. Chercher l’appui des grands penseurs s’est fait au fur et à mesure, de découvertes en découvertes, je me suis laissée surprendre par la grande capacité de s’interroger des enfants.
Nous étions dans un processus dynamique qui, ne me donnait pas la puissance du savoir, mais au contraire
m’incitait à aller chercher les connaissances afin d’alimenter ces échanges, les enfants ont été les guides et les
éclaireurs de ces rendez-vous. La citation de Montaigne « La parole est à moitié à celui qui parle, et à moitié à celui qui écoute » a pris tout son sens lors de nos discussions. Le mot parole a trouvé une nouvelle saveur ainsi que le mot écoute, l’attitude des enfants montrait cela. Chacun a pu mesurer l’importance des mots, des idées et des connaissances dés lors que nous éprouvions cela ensemble.
Quand Alain dit « Penser, c’est dire non », il illustre ce que chacun a progressivement énoncé. Penser par soi même, ne pas suivre ceux qui nous disent comment et quoi penser. L’émergence de l’esprit critique dans ces séances s’est peu à peu révélée. En nous posant des questions, nous avons pu constater combien il est important de bien nous connaître, de
nous accepter, et d’accepter les différences de ceux que nous côtoyons. Michel Tozzi nous a accompagné-es
dans ce processus d’échanges par cette phrase : « Toute objection est un cadeau pour ma pensée et non une
agression contre ma personne ».
S’ouvrir au monde c’est aussi douter, se questionner. Quand j’ai évoqué Descartes avec sa citation « Je pense,
donc je suis » une élève a réagi en se servant de cette phrase comme d’un levier, elle m’a dit au bout d’une
longue réflexion : « Cette phrase bon très bien, mais moi, est-ce que je suis ce que je pense ? ».
Ces discussions, véritables recherches, ont mis du mouvement dans nos idées nous invitant à devenir acteurs
non pas d’un savoir mais d’un processus de pensée. René Char s’est invité pour accueillir ces avancées : « Il n’y
a que deux conduites avec la vie : ou on la vit, ou on l’accomplit ».
Penser c’est aussi accepter de ne pas savoir, de chercher en laissant aller ses idées, les laisser dériver,
s’associer à d’autres idées. L’écriture a permis de s’ancrer dans une matérialité, de laisser des traces, d’installer des préceptes mais aussi de permettre à l’imagination de s’immiscer.
Passer à l’écrit a rendu la pensée plus concrète en rendant chacun créateur de sa production. Quel bonheur d’entendre la réflexion d’une élève qui m’a dit : « C’est chouette de faire de l’écrit, c’est mettre de la poésie dans la philosophie ! ».
Et d’en trouver l’écho chez les penseurs, poésie veut dire création, faire, pour Platon l’état poétique est rattaché
à l’enthousiasme, à la possession divine. Dans le rebond des trouvailles, nous avons parcouru ces séances en explorateurs, en « interlocuteurs valables » traçant en chacun de nous des chemins parsemés de graines, ces graines nous le savons ne peuvent que germer et grandir.
J’ai en moi le sentiment de vrais partages, de doutes, de découragements parfois, mais aussi et c’est ce qui
domine, la joie d’avoir partagé avec ces enfants les grandes questions, la recherche et la quête d’un regard
nouveau sur le monde. Cette expérience résonne avec Bersgon qui, dans « l’énergie spirituelle » explique sa
volonté constante de faire de la philo une matière tournée vers le mouvement, la création et la vie.